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De l'autonomie énergétique à la connexion internet : focus sur les Îles Sous-le-Vent

Un rapport parlementaire du 19 juillet 2023 sur l’autonomie énergétique des outre-mer rédigé par les députés Davy RIMANE et Jean-Hugues RATENON, évoque la question de l'avenir numérique des îles Leeward - ou îles-Sous-le-Vent - en Polynésie.

Le rapport mentionne notamment l'existence d'un projet international d'interconnexion entre plusieurs îles, à des fins de partage de l'énergie géothermique et de développement économique de la région. L'autonomie énergétique recherchée permettrait aussi, du fait de la pose de câbles sous-marins, de profiter de cette infrastructure pour améliorer la connectivité de ces îles encore trop isolées du réseau mondial.

Focus sur la situation numérique de ces îles et les questions éthiques qu'il convient de se poser à l'occasion de leur analyse.

Image d'illustration du bloc : Le contexte du rapport : l'autonomie énergétique des outre-mer

Le projet de câble géothermique - source : rapport de l'Assemblée nationale

Le contexte du rapport : l'autonomie énergétique des outre-mer

Le rapport, rédigé par une mission d'information parlementaire, relève d'abord que la France et ses collectivités, en particulier celles d'outre-mer, cherchent à atteindre une autonomie énergétique basée sur des énergies décarbonées pour lutter contre le dérèglement climatique et assurer une "souveraineté" (autonomie) énergétique.

Malgré la dépendance importante aux hydrocarbures dans les régions d'outre-mer, certaines collectivités ont commencé à promouvoir des énergies décarbonées comme l'hydroélectricité, la biomasse, le solaire, l'éolien et la géothermie. La transition vers une électricité décarbonée pourrait ainsi être réalisée d'ici 2030 avec des efforts soutenus, mais la question de la mobilité reste un défi, par exemple en raison de la lenteur de l'adoption de la voiture électrique dans les régions d'outre-mer ) qui n'est de toutes façons pas nécessairement la solution idéale, car cela nécessite une production d'électricité suffisante et décarbonée ainsi qu'une solution pour le recyclage des batteries usagées. Une autonomie énergétique totale ou une "autarcie" est probablement irréalisable et peut même être préjudiciable aux intérêts locaux, de sorte qu'il sera probablement nécessaire de conserver des sources d'énergie fossiles pour assurer la sûreté et la sécurité de l'approvisionnement en énergie.

Le rapport rappelle également que la transition énergétique nécessitera l'aide de l'État et une révolution fiscale, car les revenus des collectivités sont actuellement largement basés sur les taxes sur les produits pétroliers.

Les enjeux de l'interconnexion des îles Leeward

Le rapport relève que la plupart des petites îles caraïbes représentent des marchés trop petits pour intéresser les industriels. Les unir en les interconnectant apparaît donc comme une nécessité. C’est le cas d’un projet international d’exploitation de la géothermie qui pourrait concerner un groupe d'îles situé dans le nord-est des Caraïbes, proches de la Guadeloupe, incluant St Martin et St Barthélémy.

L'interconnexion des îles Leeward pourrait ouvrir la voie à une exploitation optimale de leur potentiel géothermique, les contraintes géographiques, les gammes de puissance et le coût moyen de production de l'électricité pour la géothermie semblant rendre une telle infrastructure réalisable. En effet, la géothermie, en tant que source d'énergie renouvelable, est non seulement abondante dans ces îles, mais elle est également constante, ce qui la rend idéale pour une production d'électricité stable et fiable.

En outre, la création d'un réseau électrique interconnecté basé principalement sur une production d'origine géothermique faciliterait l'intégration d'autres sources d'énergies renouvelables intermittentes, telles que le photovoltaïque et l'éolien. Ces dernières sont fortement dépendantes des conditions climatiques, et leur intégration à un réseau stable et fiable basé sur la géothermie pourrait aider à équilibrer la production d'électricité.

Cette interconnexion apporterait également une plus grande résilience de chaque réseau face aux variations de la demande et de la production d'électricité. En cas de pic de demande ou de baisse de production dans une île, l'électricité pourrait être redirigée depuis les autres îles du réseau, assurant ainsi une alimentation électrique constante.

En outre, le développement de la géothermie pourrait entraîner une diminution et une harmonisation des coûts de l'électricité, ce qui pourrait contribuer à la sécurité de l'approvisionnement énergétique, un facteur clé pour le développement économique de la région.

Enfin, l'interconnexion de ces îles offrirait également une opportunité d'interconnexion numérique à moindre coût. En effet, la pose de câbles électriques équipés de fibres optiques pourrait créer l'infrastructure réseau nécessaire pour une connectivité numérique. Cela pourrait non seulement améliorer la communication et la connectivité entre les îles, mais aussi favoriser le développement de l'économie numérique dans la région.

De la géothermie à la connexion numérique : quels enjeux éthiques ?

L'état actuel de la connectivité Internet dans les îles Sous-le-Vent est précaire. Dans les îles Vierges britanniques qui se situent quelques kilomètres au nord, le taux de pénétration d'Internet était de 77,7 % de la population totale au début de 2022, selon DataReportal. Autrement dit, bien que la majorité de la population ait accès à Internet, il reste encore une part significative de la population qui n'est pas connectée. Dans le cas de Saint-Kitts-et-Nevis, deux îles montagneuses des îles Sous-le-Vent situées à quelques kilomètres au Sud de St Martin et St Barthélémy, l'accès à Internet par satellite reste la solution la plus couramment utilisée.

Il faut dire que le nombre de câbles sous-marins, par lesquels circulant 99% des connexions internet mondiales, sont rares dans la région. St Barthélémy est relié à St Martin et à la Guadeloupe par le Southern Caribbean Fiber, câble privé de 3000km installé en 2006 et par le Global Caribbean Network (GCN), un câble privé de 890 km posé lui aussi en 2006. Ces câbles, qui auront bientôt 20 ans, ne permettent pas une connexion optimale à ce jour. Le Saba Statia Cable System (SSCS), petit câble de moins de 200 km posé en 2013 et détenu par le gouvernement néerlandais, dessert également St Barthélémy et constitue la seule source de connexion de plusieurs petites îles du groupe, ce qui les rend particulièrement vulnérables aux coupures.

L'interconnexion des îles Sous-le-Vent par le biais de nouveaux câbles électriques équipés de fibres optiques pourrait donc non seulement améliorer la connectivité Internet dans la région, mais aussi réduire les coûts associés à l'accès à Internet. Cela pourrait également favoriser le développement de l'économie numérique dans la région, en facilitant la communication et en offrant de nouvelles opportunités pour les entreprises et les particuliers.

La pose de câbles sous-marins pour l'interconnexion des îles Sous-le-Vent, bien qu'à l'évidence bénéfique d'un point de vue technologique et économique, soulève cependant des questions importantes en matière d'impact environnemental.

Les câbles sous-marins, bien qu'ils soient généralement considérés comme ayant un impact environnemental relativement faible par rapport à d'autres infrastructures, peuvent en effet avoir des impacts sur les écosystèmes marins. La pose de câbles peut perturber les habitats marins, en particulier lors de l'installation initiale où le câble est posé sur le fond marin. Cela peut entraîner une perturbation physique de l'habitat et potentiellement affecter les espèces qui vivent dans ces zones. La question de la durabilité à long terme des câbles sous-marins est connexe. Bien que ces câbles soient conçus pour durer plusieurs décennies, ils ne sont pas éternels : lorsqu'ils atteignent la fin de leur vie utile, ils doivent être retirés et remplacés, ce qui a un impact environnemental supplémentaire. Certains sont d'ailleurs laissés sur place, soit du fait du coût économique de leur retrait, soit du fait de l'impossibilité concrète de les retirer sans dégrader considérablement les coraux et sols marins : avec le temps, les câbles peuvent se retrouver recouverts par la sédimentation sans que leurs capacités soient affectées, incrustation qui rend impossible ou trop dommageable leur retrait. Les câbles constituent donc des déchets marins en puissance, l'augmentation exponentielle de leur nombre (voir la carte interactive Submarinecablemap) augmentant cette crainte. Par ailleurs, si un câble est endommagé et doit être réparé ou remplacé, l'intervention est susceptible de générer des débris qui finissent par polluer l'environnement marin.

Enfin, certaines préoccupations sont parfois exprimées concernant les champs électromagnétiques générés par les câbles sous-marins. Bien que les recherches soient encore en cours, l'impact de ces champs sur certaines espèces marines, en particulier celles qui utilisent les champs magnétiques pour la navigation comme certaines espèces de requins et de tortues de mer, n'est pas encore pleinement connu.

On peut se féliciter de la logique de multimodalité qui préside au projet d'interconnexion ; comme l'indique en effet le rapport, l’interconnexion de ces îles pour des raisons énergétiques "permettra également, et à moindre coût, une interconnexion numérique qui profitera de la pose de câbles électriques équipés de fibres optiques pour créer l’infrastructure réseau". Les préoccupations environnementales mentionnées plus haut devraient, pourtant, être pleinement prises en compte lors de la planification de l'installation de câbles sous-marins.

Mener des études d'impact environnemental avant l'installation pour comprendre et minimiser les impacts potentiels est essentiel, et on peut regretter que le rapport parlementaire ne fasse nullement mention, concernant le sujet spécifique des câbles, de ces enjeux - alors que d'autres points font l'objet d'une discussion sous l'angle environnemental. Quand bien même le choix opéré serait, après débat et réflexion - tel est le sens de l'éthique - de procéder à cette interconnexion qui paraît en l'état très profitable aux îles Sous-le-Vent, le processus de décision doit toujours interroger, en ce qu'il ne fait sans doute pas suffisamment apparaître les enjeux d'éthique environnementale liés aux infrastructures numériques.

Ce qu'il faut retenir :

  • Le rapport parlementaire du 19 juillet 2023 aborde l'autonomie énergétique des outre-mer, en particulier des îles Leeward en Polynésie, et leur avenir numérique.
  • Le rapport souligne que la transition vers une électricité décarbonée pourrait être réalisée d'ici 2030, mais la question de la mobilité reste un défi. Une autonomie énergétique totale est probablement irréalisable et peut même être préjudiciable.
  • L'interconnexion des îles Leeward pourrait permettre une exploitation optimale de leur potentiel géothermique, faciliter l'intégration d'autres sources d'énergies renouvelables intermittentes, et apporter une plus grande résilience de chaque réseau face aux variations de la demande et de la production d'électricité.
  • Le développement de la géothermie pourrait entraîner une diminution et une harmonisation des coûts de l'électricité, contribuant à la sécurité de l'approvisionnement énergétique, un facteur clé pour le développement économique de la région.
  • L'interconnexion de ces îles offrirait également une opportunité d'interconnexion numérique à moindre coût, favorisant le développement de l'économie numérique dans la région.
  • Cependant, la pose de câbles sous-marins pour l'interconnexion des îles Sous-le-Vent soulève des questions importantes en matière d'impact environnemental. Les préoccupations environnementales devraient être pleinement prises en compte lors de la planification de l'installation de câbles sous-marins.

Publié le 27/07/2023